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Ce Blog se consacre au développement durable en Afrique. Il diffuse des actualités, des analyses et des interviews pour décrire les réalités du développement durable en Afrique.

Développement durable: En Côte d'Ivoire, le PNUE aide le gouvernement à réhabiliter l'environnement

Développement durable: En Côte d'Ivoire, le PNUE aide le gouvernement à réhabiliter l'environnement

Nous nous consacrons aujourd'hui à un rapport très intéressant qui est paru en juillet dernier sur l'évaluation environnementale post-conflit de la Côte d'Ivoire. Ce rapport a été conçu par le PNUE (Programme des Nations Unies pour l'Environnement) sur la base d'un travail strict et minutieux qui a débuté en 2012. Bien entendu, toutes les parties prenantes-à savoir le gouvernement, la société civile, le monde académique ainsi que les acteurs environnementaux nationaux- ont été associés à cette étude pour la rendre impartiale et objective.

Mais pourquoi une telle évaluation en Côte d'Ivoire ? Me direz vous. Tout simplement parce que la Côte d'Ivoire a connu une décennie de conflit qui a non seulement affecté les populations mais également les conditions environnementales du pays. Cette situation inédite a poussé le gouvernement ivoirien à évaluer précisément les dégâts occasionnés pour élaborer une réponse adaptée et donc à faire appel au PNUE qui justifie déjà de 15 ans d'expérience en la matière: l'organisation a en effet réalisé une étude similaire en 2011 en République démocratique du Congo et une étude en 2007 au Soudan, pour ne citer que celles là. Dans tous ces pays, l'étude a toujours poursuivi le même objectif qui est d'analyser les impacts des conflits sur l'environnement et le bien être des populations et de proposer des solutions pour inverser la tendance. Pour traiter du cas ivoirien, nous avons réalisé un entretien avec mdme Silja Halle qui est chargée de programme post-conflit et catastrophe au Programme des Nations Unies pour l'environnement.

Écologique et Économique: Bonjour mdme. Pouvez-vous vous présenter svp et nous expliquer l'évaluation environnementale post-conflit?

Mdme Silja Halle: Bonjour Madame, je suis mdme Silja Halle et je suis chargée de programme post-conflit et catastrophe au Programme des Nations Unies pour l'Environnement (PNUE). L’Évaluation environnementale post-conflit (EEPC) a été mise en place par le PNUE à partir de 1999 afin de décrire la situation des secteurs environnementaux clés qui ont été touchés par un conflit ou qui sont susceptibles d'avoir contribué à un conflit dans un pays donné. L'enjeu de cette évaluation est d'identifier et de quantifier les impacts des conflits sur l'environnement ainsi que sur le bien être social et économique des populations concernées.

Écologique et Économique: Qu'est ce qui a justifié la mise de l'EEPC en Côte d'Ivoire et comment a t-elle été réalisée?

Mdme Sijla Halle: Dans le cadre de la Côte d'Ivoire, la réalisation de l'EEPC nous a été demandée par le gouvernement ivoirien en 2012. Nous nous sommes fixés 3 objectifs au cours de notre mission. Tout d'abord examiner et rassembler les informations sur la situation de l'environnement dans les secteurs clés qui ont été touchés par le conflit. Ensuite recommander des mesures techniques pour parvenir à améliorer les conditions environnementales. Et enfin faire des recommandations aux décideurs concernant les changements institutionnels qui permettront d'apporter des améliorations, dans un cadre global de développement durable.

Afin de réaliser une étude complète, précise et impartiale; nous avons associé l'ensemble des acteurs environnementaux nationaux -à savoir le gouvernement, la société civile, le monde académique ainsi que les acteurs scientifiques locaux- à notre démarche. Nous avons également effectué plusieurs missions sur le terrain afin de récolter des données que nous avons validées grâce à des techniques scientifiques. Ainsi, nous avons effectué des prélèvements d'eau et de sédiments dans la lagune Ebrié qui nous ont permis de capturer les charges typiques de pollution générées par les activités humaines. De même, pour confirmer les chiffres sur la situation de la déforestation dans le pays, nous avons eu recours à l'imagerie par satellite (Landsat).

Écologique et Économique: Dans votre rapport, vous avez expliqué que la lagune Ebrié était polluée à 10% et que 90% de sa surface était encore utilisable économiquement . Pouvez vous nous en dire davantage?

Mdme Silja Halle: Effectivement, la lagune Ebrié est l'un des lieux auxquels nous nous sommes intéressés dans notre rapport. Nous avons choisi cet espace parce qu'il est le plus grand système lagunaire de l'Afrique de l'Ouest et qu'il représente un espace culturel et économique important pour la Côte d'Ivoire.

Afin d'établir l'analyse la plus fiable possible, nous avons prélevé des échantillons d'eau et de poissons ainsi que des sédiments dans plusieurs zones de la lagune tels que la Baie du Banco, la baie de Biétry, la baie de Marcory, la zone de Marcory nord ainsi que la blanchisserie en plein air du Banco. En l'absence de normes nationales sur la qualité de l'eau dans les lagunes, nous avons comparé certains de nos résultats- en l'occurrence ceux sur la présence de métaux lourds dans les sédiments- aux valeurs du Nigeria, un pays qui a une géologie, une géographie et des écosystèmes comparables à ceux de la Côte d'Ivoire (ndlr: rappelons que selon les directives pour la sécurité des eaux de baignade de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS); la qualité de l'eau dans la lagune Ebrié est impropre à toutes les activités de loisirs qui impliquent un contact avec l'eau). Ces comparaisons nous ont permis de conclure que seulement 10% de la surface de la lagune Ebrié était polluée à cause du déversement des déchets liquides et solides qui y est pratiqué régulièrement. Je voudrais rappeler que la pollution de la lagune Ebrié n'a pas commencé avec le conflit et qu'elle remonte aux années 80. Mais l'espoir est permis puisque 90% de la surface de la lagune n'est pas polluée et est économiquement exploitable.

Dans notre rapport, nous avons fait plusieurs recommandations pour permettre de lutter efficacement contre la pollution de la lagune. Il s'agit notamment de la mise en place de critères concernant la qualité des eaux de baignade, de la mise en place d'un suivi trimestriel pour évaluer la qualité de l'environnement de la lagune ou encore de l'arrêt de l'évacuation des eaux usées brutes et des déchets dans la lagune grâce à la mise sur pieds d'un système de collecte et de revalorisation des ordures. Une application stricte de ces mesures permettra de pouvoir exploiter économiquement la lagune, à condition bien sûr que l'environnement soit respecté, pour mettre en place des projets immobiliers, des projets touristiques ou encore des projets de transport. Et c'est dans ce cadre que nous sommes en train d'élaborer un plan stratégique de développement de la lagune Ebrié. Il s'agit d'une action de concertation qui réunira le gouvernement, la société civile, les organisations internationales et les entreprises afin d'identifier les meilleures actions possibles pour mettre en valeur économiquement la lagune Ebrié. Nous débuterons les premières missions en Décembre.

Écologique et Économique: Dans votre rapport, vous mettez en lumière l'importance de la déforestation en Côte d'Ivoire. A quelle échelle pouvez vous la situer et quel est le rôle que la crise a joué dans cette situation? Étant donné que la forêt constitue une source de subsistance majeure à l'échelle locale et nationale, quelles sont les solutions que vous envisagez?

Mdme Silja Halle: Effectivement, les forêts de Côte d'Ivoire jouent un rôle important non seulement au niveau local et régional mais également au niveau mondial. Les apports de la forêt sont multiples: elle fournit des avantages directs aux populations grâce aux produits ligneux et non ligneux, sa présence permet la régulation du climat et la sécurisation de l'eau tandis que sur le plan mondiale, sa biodiversité très riche et le nombre important d'espèces endémiques qu'elle abrite en font un lieu à protéger. Il était donc très important pour nous d'étudier ce lieu et d'identifier précisément les conséquences de la crise sur lui.

Comme dans le cas de la lagune Ebrié, nous avons étudié plusieurs forêts classées afin de faire une analyse précise:nous avons notamment visité les forêts classées des villes d'Abidjan, de Man, de Daloa et de San Pédro. Nous avons mis en évidence plusieurs résultats intéressants mais comme dans le cas de la lagune Ebrié, il est important de souligner que l'état du couvert forestier en Côte d'Ivoire était déjà alarmant depuis le début du XXIème siècle et qu'il s'est aggravé avec le conflit. Ainsi, la forêt classée de Dé (Daloa) était déjà dégradée à 45% avant le début de la crise en 2002 et est dégradée à 90% depuis 2012. De même, la forêt classée de Duekoué (Man) était dégradée à 23% en 2002 et est dégradée à 90% depuis 2012. Globalement, les données issues de l'imagerie par satellite (Landsat) nous ont permis d'établir que le couvert forestier a diminué d'environ 660 000 hectares entre 2000 et 2013: soient 250 000 ha entre 2000 et 2008 et 410 000 ha entre 2008 et 2013. Selon les conclusions de notre rapport, la principale cause de cette déforestation est l'agriculture (on estime que 500 000 personnes ont empiété sur les forêts classées entre 2002 et 2012 pour y mettre en place des plantations dont elles dépendent actuellement pour leur subsistance). A côté de cette cause majeure, nous avons identifié d'autres causes spécifiques à la crise comme l'exploitation forestière illégale à l'échelle industrielle, l'exploitation industrielle légale qui s'est poursuivie sans contrôle de la SODEFOR, l'exploitation minière artisanale de l'or ou encore le braconnage de la faune et de la flore sauvage.

Pour répondre à votre dernière question, nous avons parfaitement conscience que la forêt est le principal moyen de subsistance des populations qui y vivent. Et c'est dans ce sens que nous avons proposé des solutions adaptées comme la formation des paysans à de nouvelles techniques agricoles, l'introduction de systèmes sédentaires durables tels que l'agroforesterie ou encore l'établissement de programmes de reboisement. Sur ce dernier point, nous avons d'ailleurs proposé la mise en place de la campagne "1 milliard d'arbres" à l'échelle nationale. Il s'agit d'une campagne de sensibilisation au reboisement qui a déjà été menée dans plusieurs pays d'Afrique et qui a rencontré un certain succès.

Ecologique et Economique:Dans votre rapport, vous mettez également l'accent sur les risques de déversement d'hydrocarbures en Côte d'Ivoire. Pouvez vous nous en dire plus?

Mdme Silja Halle: Effectivement, ces dernières années, la production de pétrole en général, et le forage en mer en particulier, connaissent une augmentation exponentielle en Afrique de l'ouest. La Côte d'Ivoire est doublement exposée à des risques de déversement des hydrocarbures. Tout d'abord en tant que producteur puisqu'elle produit dans les sites offshore du golfe de Guinée notamment.Et ensuite, en tant que pays côtier et voisin proche ou lointain de grands pays comme le Nigéria qui produisent déjà depuis un certain nombre d'années.

Avec l'accroissement significatif de la production du pétrole et du gaz dans le golfe de Guinée, les risques de déversement d'hydrocarbures ou d'explosion offshore dans le Golf de Guinée deviennent particulièrement importants. Et pour la Côte d'Ivoire, dont l'économie dépend dans une grande partie de l'exploitation du littoral, un tel évènement serait désastreux. Il toucherait non seulement le tourisme sur les côtes, les activités portuaires d'Abidjan, la pêche dans les eaux côtières et les lagunes mais également les communautés qui vivent sur les plages et les rives de la lagune.

Le point sur lequel nous attirons l'attention dans le rapport, c'est que la Côte d'Ivoire n'est pas préparée à affronter efficacement un déversement d'hydrocarbures. Le CIAPOL, (ndlr: le centre en charge de la réaction en cas de déversement d'hydrocarbures) ayant été considérablement touché pendant la crise, il n'existe pas actuellement de stratégie d'intervention en cas de marées noires en Côte d'Ivoire ou dans les pays voisins. Notre travail a donc plusieurs objectifs. Tout d'abord, examiner les mesures en place en Côte d'Ivoire et dans les pays voisins pour répondre à un déversement d'hydrocarbures dans le golfe de Guinée. Ensuite , mettre à jour le plan d'action avec notamment une carte actualisée pour identifier les zones les plus vulnérables en cas de marées noires. Et enfin, mettre à jour les techniques de traitement de l'écosystème pour pouvoir restaurer l'écosystème en cas de destruction.

Ecologique et Economique: Nous vous remercions pour ces explications

Mdme Silja Halle: Il n'y a pas de quoi, ce fut un plaisir. Bonne continuation.

Nous concluons cette interview en rappelant que le PNUE accompagnera la Côte d'Ivoire aussi longtemps qu'elle le souhaitera dans sa politique de réhabilitation de l'environnement. Il s'agit d'un travail de longue haleine qui implique à la fois le gouvernement, les acteurs privés et bien entendu la société civile.

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